Ces photographes français routards seraient-ils successeurs de la « Beat Generation » ? Cette question vient immédiatement à l’esprit devant cette liste de jeunes photographes, routards.
Rejetons de Kerouac
Ils ont d’ailleurs été rapidement repérés par des agences intéressées à des profils sortant de la norme. Le nombre des points communs entre eux et leurs prédécesseurs américains, sont évident : ils sont jeunes, ils se situent dans les marges de la société, sans être dans l’opposition frontale avec elle. Ils aiment la vie, la route, la liberté, la nudité, les grands espaces, vides de préférence. Ils expriment par leurs voyages, le goût pour les USA, mis aussi toutes les terres sauvages ou ressenties comme telles, les terres d’aventuriers – le Canada, l’Alaska, le Grand Nord scandinave, la Sibérie – un attrait fort pour la vie nomade. Ce sont les rejetons de Kerouac, mais aussi de London, de Cendrars, de Hugo Prat, de Corto Maltese. Ils sont ceux qui font rêver parce qu’ils font ce que nous n’avons pas osé faire.
Par leurs photos, par le lien qu’ils disent, ouvertement ou pas, avec de grands photographes prédécesseurs américains, français, russes, ils expriment tout cela. Ils ont entre eux des points communs qui interpellent : tous sont totalement ou partiellement adeptes des appareils argentiques. Avec deux pôles étonnants de prime abord : Leica – du M6 au M9 – ou moyen format – Rolleiflex, Pentax 67, chambre Linhof et boîtiers Lomography pour rouleaux de 120. Et « entre les deux » Canon AE1, 5Ds, Contax…
Identifiables
Leurs photographies sont souvent des paysages larges et horizontaux, coupés en deux par des routes droites et verticales jusqu’à l’infini. Ils se photographient aussi, l’un l’autre, les uns les autres – car ils ne voyagent pas seuls – faisant des pseudo-selfies, autour d’un feu de bois, dans leur voiture, leur maison nomade, habillés ou nus, souvent nus. Ils font des carnets de route. Leurs photos ne sont pas toutes de la même qualité, mais elles sont toutes traversées du même esprit « On the road ».
La « Beat Generation »
Il s’agit d’un mouvement littéraire américain des années 50 tournant autour de 3 hommes : Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs. Ce sont des auteurs qui utilisent l’écriture spontanée. Ils revendiquent haut et fort la liberté – y compris sexuelle – , la révolte contre la société conformiste, une créativité débridée et libertaire. Kerouac est un fan de Rimbaud, auquel il a consacré un livre. Son roman « Sur la route », écrit en 1957, va devenir le symbole d’une attitude qui tournera au mythe. Un mythe qui porte un individualisme volontaire et le rejet des conventions sociales – refus du travail, de la famille, sexualité libre et éventuellement gay. Tous ces points sont d’abord des refus de l’American Way of Life. Le voyage est aussi une des formes de ce refus.
« Sur la route » est très vite considéré comme le manifeste de la Beat Génération. Le roman a influencé directement le genre road movie. Il a inspiré des chanteurs comme Tom Waits et Bob Dylan. Kerouac a lui-même fait des voyages à travers les États-Unis, Est-Ouest par le Nord et la route 66 en 1947, par le Sud en 1949, et de l’Est jusqu’au Mexique en 1950. Le photographe Robert Franck a fait la route 66 en 1955 et 56 et a été proche de Kerouac en 1958. La Beat Attitude, prolongée par le Beatnicks, a débordé les frontières américaines. Les expressions « sur la route », « faire la route », devenues idiomatiques en français, ou encore « on the road » repris explicitement un demi-siècle plus tard en témoignent clairement. Tout comme le mot « routard ».
L’esprit routard, mais…
Cet esprit routard n’empêche pas ces jeunes photographes français routards d’être d’efficaces utilisateurs de réseaux sociaux à vocation photographique -Instagram et Flickr- pour diffuser leurs photos. Ils ont des sites web, et sont passés par là pour se faire connaître. Et par ce biais, certains sont devenus lauréats de prix, se sont vus édités par les plus grands magazines de par le monde, comme National Geographic ou GEO, pour ne citer qu’eux. Nombre d’entre eux sont passés par des parcours liés aux arts graphiques, à la peinture, à l’art en général. Mais certains ont suivi des chemins beaucoup moins classiques, comme la planche à roulettes ou le BMX, pour arriver à la photo.
Pratiquement tous sont passés par les espaces américains. Certains sont devenus professionnels à temps complet, d’autres ont gardé leur métier, souvent lié au graphisme. Mais tous sont une incarnation de l’évolution de la photo. D’une photo qui ne rompt pas avec le passé, qui en garde des éléments, mais avance dans sa voie, en phase avec son époque. Les photographes, dont ces jeunes se réclament, sont symboliques de cette voie. Nous vous présentons ici ces jeunes, par ordre alphabétique du nom de famille. Nous avons dû faire un choix, non exhaustif bien sûr. Les absents voudront bien nous en excuser.
Sidi-Omar Alami

Est né en 1994. Il a commencé à prendre des photos lors de ses voyages au Maroc, où il allait rendre visite à sa famille. Ensuite, avec ses parents, ils faisaient de petits road trips à travers tout le Maroc. Il commence à faire de la photographie avec les jetables de ses parents pendant ces voyages. Par la suite, à l’adolescence, un ami qui voulait devenir photographe lui prête régulièrement son appareil numérique. Plus tard il s’achète son propre boîtier et la photo devient son principal « medium », supplantant le piano et la musique.
Il annonce ouvertement ses références : Steve McCurry, Garry Winogrand, Eric Bouvet, notamment pour sa couverture de l’Ukraine.
Voir des photos sur Sidi Omar Alami.
Pierre Belhassen

Découvre la photographie en 2005 lors d’un voyage à New York. Et elle devient rapidement une passion. En noir et blanc et en couleur. Quand il revient à la photographie après une rupture de quelques années, la couleur s’impose à lui, mais comme une nouvelle technique. Il aime l’argentique et s’en explique : « J’aime l’argentique, d’abord pour le rendu esthétique des images, le grain, la matière… Je n’aime pas les images lisses. En numérique, le cliché est visible instantanément et cela empêche selon moi de ‘rêver’ son image. Le fait de ne pas savoir si j’ai réussi ou non ma photo me pousse à toujours m’appliquer dans sa réalisation. Le doute est parfois une force. Je ne cherche pas à ‘mitrailler’, mais à viser juste. Chaque moment passé est à jamais disparu, j’ai donc besoin de cette exigence propre à l’argentique pour aboutir mes images ».
Ses influences photographiques vont de Robert Frank à Josef Koudelka en passant par Saul Leiter, Trent Parke, Jonas Bendiksen, Jason Eskenazi, Alex Webb. Il aime dans la photographie sa capacité inépuisable à surprendre. Il considère qu’il faut « Garder de l’émerveillement dans son travail et toujours regarder le monde avec plaisir ».
Voir des photos de Pierre Belhassem 1 – 2
Agathe Brossard et Florian Machefert

Sont respectivement architecte et directeur artistique. Le reste du temps, ils pratiquent la photographie ensemble sont le pseudonyme de IZBERG. C’est au début de leurs études d’arts appliqués en 2006 qu’Ils ont commencé la photographie. Comme ils voyagent, l’envie leur vient un jour de partager leurs photos et créent un blog. Agathe et Flavien préfèrent l’argentique, parce qu’« au-delà même des images produites, c’est tout ce qui entoure la pratique qui en fait son charme : être certain de ce que l’on photographie, attendre la fin de la pellicule et son développement pour découvrir les images, se souvenir des instants qui ont précédés et menés à cette photo plutôt qu’une autre ».
Ils utilisent pour cela un Canon AE-1 pour elle et un Canon A35F pour lui, ainsi que des Lomo LC+A (24×36) et LC+A120 (6×6) prêtés par Lomography. Avant ce prêt, ils utilisaient déjà des pellicules Lomography 400 couleur. Leur blog Izberg compte actuellement une douzaine de carnets « Izberg in… »
Guillaume Flandre

À commencé la photo de façon banale avec un compact pendant les voyages de vacances. Le premier déclic s’est produit quand il est parti à New York, où il a travaillé et vécu avec des gens passionnés de photo. Premier achat d’un reflex, un d’entrée de gamme qu’il gardera 5 ans. C’est en shootant New York qu’il se forme à la photo. Il progresse, s’intéresse à d’autres sujets que la simple photo touristique et commence à diffuser ses photos qui sont publiées par des magazines comme National Geographic. Puis, il commence à exposer.
En 2014 il est lauréat du grand prix Talents Nomades Fujifilm et reçoit le titre d’Ambassadeur X-Photographer Fujifilm. Depuis qu’il a un X-T1, il n’utilise plus son précédent Canon, plus lourd, plus volumineux et ne donnant pas de meilleures photos d’après lui. En voyage il n’emporte que son X-T1 muni de 2 objectifs : un 1,2/56 mm et un 10-24mm. Ses inspirations lui viennent de Elliott Erwitt, Henri Cartier-Bresson, David LaChapelle, Steve McCurry, Richard Avedon, Annie Leibovitz, Martin Parr, ou encore Inez et Vinoodh. Récemment il a eu un coup de cœur pour Pierre Debusschere.
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Théo Gosselin

Est né au Havre et habite à Amiens depuis 5 ans, où il a fait des études de designer. Puis la photographie a pris le dessus et, de simple passion, est devenue le moteur de sa vie. Ses sujets de prédilection sont « ses amis, la jeunesse, l’amitié, l’amour (le sien) et les voyages ». Il dit « tenter d’en capturer l’intimité avec tendresse et rêve… tout au long de leurs voyages et leurs changements lors du long passage à l’âge adulte ».
De sa pratique argentique il dit : « J’ai bien entendu travaillé de longues années avec du matériel numérique, ce qui m’a permis d’apprendre, de comprendre, de ne plus être esclave de mon appareil… Au fur et à mesure du temps passé à prendre des photos, j’ai créé des liens forts entre ma machine et ma vision. Des recettes, des automatismes, qui désormais me permettent de réussir une image sans en faire 400. L’argentique permet un retour fascinant à la source. C’est un processus qui rapproche l’homme de sa passion, car il comprend le fonctionnement de la prise de vue, de la genèse au produit final. On se sent maître de la création et tout repose sur ses compétences à réfléchir, imaginer, créer, et respecter ou transgresser les lois scientifiques de la photographie. Le tout pour un résultat, une texture, un esthétisme et un produit fini hors du commun ».
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Mathieu Maury
Mathieu Maury a demandé (exigé) la suppression des éléments susceptibles d’être privés. Malheureusement, il est parfois difficile dans une biographie (même courte) de distinguer ce qui pourrait être retenu comme privé ou public. Ainsi une photo du photographe, est-ce un élément public ou privée ? Son âge, ses penchants photographiques… c’est en même temps privé et public. Le risque judiciaire existant, la présentation qui lui était consacré a été supprimé.
Respectons sa décision de ne plus faire partie de la sphère photographique publique.
Agathe Monnot

A fait l’École des Beaux Arts de Rennes. Après quoi elle est partie au volant de son fourgon. « Pour bouffer des kilomètres. Pendant trois mois. Pendant des heures. Seule. Découvrir la Scandinavie ». Elle a « traversé le Danemark et la Suède. Dévoré la Norvège ». « J’en ai savouré chaque bouchée », dit-elle. À roulé jusqu’au Cap Nord. Jusqu’à n’avoir « Plus rien au-delà de l’horizon que le Pôle Nord ».
16 245 km. Elle raconte cela très bien : « J’ai changé de mode de vie. Je suis devenue nomade : vivre dehors, pour être libre. J’ai couru dans les vagues, j’ai pleuré de beauté, j’ai ri de bonheur, j’ai raconté ma vie à des inconnus autour du feu, j’ai préparé le café pour mes compagnons de route, j’ai vu des rennes sur la plage, j’ai aimé des gens que je ne reverrai jamais, j’ai vécu le soleil de minuit. Je dors quand je suis fatiguée, je mange quand j’ai faim, je fais cuire mes pâtes dans l’eau des rivières. Je prends ma douche dans les nuages ».
À son activité de photographe, elle a ajouté récemment celle d’illustratrice. Elle photographie en argentique avec un Canon AE1 et aussi en numérique.
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Brice Portolano

Est né en 1991 à Paris. Il a fait des études d’art à la Sorbonne et à l’École des Gobelins. Sa passion est simple : explorer, découvrir, rencontrer, raconter, parler avec des images. Il a parcouru les montagnes canadiennes, les Balkans, loin des villes et des foules. Il dit : « Le thème de la relation entre l’homme et la nature est celui qui unit tous mes projets. J’ai grandi entouré d’animaux et de grands espaces et c’est cette connexion avec la nature que je souhaite explorer et documenter ».
Ses références sont Steve McCurry (Koweït et Afghanistan), le reporter de guerre Jérôme Sessini, le photographe/pêcheur Corey Arnold et Evgenia Arbugaeva, (Mammoth Hunters). Il pense être devenu artiste avant d’être photographe : « J’aurais tout aussi bien pu être sculpteur, peintre ou musicien ».
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Julie Sarperi + Renaud Bonnet

Ce sont deux photographes et voyageurs qui se cachent derrière le nom de leur blog Carnets de traverse. Ils ont remporté les Gram Awards 2016 dans la catégorie voyage (qui récompensent les meilleurs comptes Instagram). Tous les deux directeurs artistiques dans des agences de pub, rompus au web, ils ont créé leur blog en 2007. Chose courante à l’époque, mais rare pour les voyages. Ils photographient de façon fusionnelle. Chacun a un Leica M9, l’un monté avec un 28mm, l’autre avec un 50mm, qu’ils échangent selon les envies et les inspirations. Ils sont eux-mêmes incapables de dire qui a shooté quoi.
Le succès venant, ils ont sont devenus professionnels et indépendants. Julie utilise aussi un Polaroïd, qui permet de donner immédiatement une image, et favorise le rapprochement. Des images au « Pola » elle dit : « J’aime particulièrement le fait que le rendu soit aléatoire. Tu ne peux pas savoir d’avance ce que ça va donner, si le film est périmé, s’il fait trop chaud, trop froid, lorsqu’il se révèle, le rendu sera différent. Si quelqu’un l’agite pour le faire sécher plus vite (tout le monde fait ça… de Cape Town à Reykjavik), ça laissera une trace de pouce. L’empreinte du moment. C’est vraiment unique, très poétique ».
Sur le terrain, ils « dérushent » chaque soir, sur deux disques durs, au cas où l’un des deux viendrait à « crasher ».
Quels photographes les inspirent ? – Stephen Shore, David Hockney, Walker Evans, Ansel Adams, Garry Winogrand, Saul Leiter, Bernd et Hilla Becher et Bernard Plossu… Et les livres d’art : Turner, Courbet, Hockney, Soulages,… Ils utilisent Instagram et Facebook. Leur conseil : Essayer de se décomplexer pour être plus détendu, prendre les photos à sa façon, sans forcément écouter les dogmes. Regarder beaucoup de livres de photo. Travailler dur pour trouver son style. Ne jamais arrêter de chercher, de se chercher.
Voir plus de photos sur Carnets de traverse – Instagram
Alex Strohl

Que l’on devrait appeler « photographe de fortune » ! Il a quitté la France pour le Canada à 19 ans pour « explorer un monde nouveau », contaminé par les histoires de voyages racontées par son père. Il est devenu une sensation d’Instagram en dépassant le million de followers. Ses endroits préférés sont l’Alaska, la Colombie-Britannique (Canada), les îles Lofoten, la Patagonie et le Sahara. Il voyage 8 mois par an et dit se sentir partout chez lui.
Son conseil : « Déterminez d’abord votre sujet, imaginez ce que vous avez envie de photographier, ce qui vous inspire, n’ayez pas peur d’essayer de nouvelles choses au début, soyez sûr de faire les photos pour vous, cette passion se verra dans vos images. Prenez toujours votre temps ».
Il utilise un Canon 5DS avec un 1,4/24 mm II L, un 1,2/50 mm et un 2,8/70-200 II L. Il a publié en janvier 2016 un livre « Alternative Living », montrant des marginaux vivant dans un fjord très au nord, accessible seulement par la mer.
Pour voir plus de photos sur alexstrohl
Élisa Routa

Née en 1984, elle vit actuellement à Biarritz où elle travaille en tant que journaliste-rédactrice-photographe indépendante.
Après avoir étudié la littérature et la civilisation anglaise et américaine à l’université de Toulouse- le Mirail, elle a prolongé en Angleterre à Reading, et a terminé par la London School of Journalism, en 2007. Rentrée en France, elle travaille à Radio France comme reporter. Le jour où elle doit faire un choix entre la radio ou la presse écrite, elle opte pour l’écriture. En 2009, elle travaille pour Surfrider Fondation Europe, puis 6 ans plus tard pour Panthalassa et pour Instagram. Elle considère la photographie argentique comme le moyen de garder une trace, « une preuve que tout est bel et bien arrivé ».
Lorsqu’elle n’écrit pas, Élisa parcourt l’Europe dans son van prénommé « Nautilus ».
Voir des photos d’Élisa Routa
Fabien Voileau

La trentaine et un parcours atypique ! Après une enfance nantaise et un BEP d’aménagement de l’espace en poche, il enchaîne différents jobs – barman, prof de tennis, vendeur de poissons… Il n’aime pas parler de lui parce que « les gens s’en foutent... »
Il photographie avec le Canon AE1 de son père. En 2007, il part en Australie où il attrape la maladie des grands espaces, aux effets secondaires redoutables… Il a 2 adresses, une à Paris, l’autre en Nouvelle-Zélande, où vit sa compagne. Ses images, il les a rapportées des 4 coins du monde : Islande, Jordanie, Israël, Inde, Himalaya… Il a créé weareserious, un studio créatif, à Paris.
Voir des photos de Fabien Voileau
Pour retrouver ces photographes sur la toile, nous vous conseillons des sites comme comme BOUMBANG, PHOTOTREND, The Others… et bien sûr Instagram et Flickr.
2 réponses
Merci pour ce regard porté sur la jeune génération…
Regarder les jeunes est une façon de ne pas (moins) vieillir !
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