Pour commencer, pourquoi donc s’intéresser à la photo déjantée ? Et d’abord qu’est-ce qu’une photo déjantée ?
Avant tout, c’est une photo qui recherche ce qui sort de l’ordinaire, qui change de l’ordinaire. Que ce soit par :
- Le sujet, association inattendue, présence et/ou proximité d’objets ou de personnages incongrus
- Le cadrage, de travers, en tout cas pas orthodoxe
- La technique utilisée, à contre-emploi, contraste inhabituel… ou par des défauts…
Ce sera donc original, mais pas simplement, hors de l’ordinaire plutôt, et ouvertement assumé. Ce sera une photo qui joue avec le farfelu, le bizarre, les associations improbables, qui cultive les raccourcis étonnants ou étranges. Cette démarche signifie deux approches possibles et distinctes : l’approche ante et l’approche post.
L’approche ante (antérieure)
Le côté déjanté se fait à la prise de vue
C’est l’idée de départ qui conduit rapidement à la photo. C’est une réaction à une situation, à une intuition, à une idée d’approche photo, pour aller du plus immédiat au plus prémédité.
Ce peut être un cadrage de guingois, une mise au point décalée sur un plan non attendu, et bien sûr pas sur le plan attendu (parce que prévisible, téléphoné). Ou bien un parti pris grotesque, comme un trombinoscope de réunion de photographes, formé de portraits faits au 10mm à courte distance, avec pour effet un morphing (*1) outré, généralement agrémenté de grimaces, elles aussi outrées, (photos 1, 2, 3).
Ce peut être l’utilisation appuyée de la plongée ou de la contre-plongée, des photos faites au ras du sol, dans des endroits improbables, avec des situations tout aussi improbables. La lomographie est un vecteur non négligeable de photo déjantée. Voir l’article. La photo déjantée peut se rattacher à des tendances diverses, par exemple être « simplement » le coup d’œil qui voit l’insolite dans une société extrêmement normalisée, (photo 4).





(*1) déformation faite à la prise de vue et depuis le numérique en PT
Un héritage multiple
La photo déjantée peut puiser son esprit chez Rabelais, ses inspirations chez Magritte, Man Ray, Picasso, LaChapelle, certains Russes comme Sergueï Borissov. Ainsi elle peut utiliser des procédés techniques comme la surimpression, le flou de bougé, la vitesse lente, etc., mais aussi toutes les violations des « règles » classiques, et connues, de la photographie, que tout un chacun se doit de respecter. La seule règle déjantée, et connue, est que ce non-respect doit être patent et assumé, (photos 6, 7, 8).



L’approche post (postérieure)
Le côté déjanté peut aussi aussi se faire au stade du PT (*2), avec des montages, des assemblages d’images différentes, des incrustations, des colorations globales, des colorisations partielles.
Cette seconde approche laisse beaucoup moins de place à la spontanéité que la première. Elle peut paraître moins difficile et pourtant elle est fondamentalement plus délicate parce que sa construction procède plus de la réflexion rationnelle et a donc tendance à réduire la liberté réjouissante des photos qui jaillissent d’un éclair intuitif, (photos 9, 10). Cette photo va souvent chercher des inspirations du côté de Dali. Elle est souvent plus éloignée de la photo que la première et demande, à notre avis, une grande maîtrise de l’outil informatique de PT


(*2) Post Traitement par des logiciels comme Lr, Photoshop (CS), ACDsee, DxO, etc. (nb : « etc. » n’est pas un logiciel de PT)
La mise en scène
Enfin il existe une voie médiane : la mise en scène. Celle-ci crée les situations, les organise. Mais elle les saisit selon les apparences de la prise de vue faite sur le vif. Cette méthode nécessite quelque organisation, comme la recherche des lieux, des figurants, plus les détails d’intendance. Somme toute, rien de bien insurmontable. Le résultat peut être ambigu. Au point qu’on se demande si c’est une mise en scène ou un cliché pris sur le vif (photo 12).


La barrière à droite donne à penser que ce n’est pas une mise en scène !


Cette dernière photo est conforme à sa mise en page dans un album fabriqué par l’auteur de la photo, offert à l’auteur de l’article. Sur Internet elle est mise à l’horizontale !
Pour finir
La photo déjantée peut présenter une grande variété de degrés : de la photo simplement insolite (par exemple photo présentée bas en haut – ou l’inverse !) à la photo totalement loufoque en passant par des photos « seulement » très originales.
Ces photos ne sont pas simplement des clichés qui ignorent les « règles » classiques de cadrage et de composition. Elles peuvent très bien les respecter, scrupuleusement même, c’est l’alliance du sujet et de la façon de le saisir qui fait la photo déjantée, comme pour toute photo. Dans un cocktail, tout est dans le doigté. La différence entre un cocktail inoubliable et une boisson médiocre est infime. Le diablotin est dans les micro-détails.
Ceci n’est pas une pipe *, mais un manifeste**.
[Cette conclusion est un exemple d’acte déjanté.]
* Citation de Magritte, titre d’un tableau représentant une pipe flottant en l’air. ** manifeste : texte qui affirme des principes et les présente comme des axes d’action à suivre.