Consacrer une série d’articles à la photo de rue sans parler du droit à l’image, cela eût été bizarre. Bien que le sujet ait déjà été abordé, il nous a paru nécessaire de revenir sur cet aspect important. Ceci dans le but d’expliquer ce que c’est, d’indiquer quelles en sont les limites et, surtout, à qui cela s’applique.
Beaucoup invoquent ce droit à l’image, quand ils refusent d’être photographiés alors qu’ils se trouvent dans un espace public. Mais combien savent ce que recouvre exactement ce droit à l’image ? Si on interrogeait un groupe de 10 personnes, la majorité aurait une idée fausse car la méconnaissance du sujet est assez importante. Avec, comme résultat, un recours au droit à l’image à tort.
Evidemment cette notion de droit à l’image n’est pas spécifique à la street photography, mais c’est cette pratique qui amène souvent le plus de questionnement.
Définition du droit à l’image
Un droit personnel
Le droit à l’image est un droit personnel, qui découle d’une véritable construction jurisprudentielle, car il n’existe aucun texte de loi qui le codifie. D’un point de vue juridique, ce droit à l’image est un droit personnel, lié à son titulaire, qui naît et prend fin avec lui. Il ne concerne que la personne présente sur le cliché ou la vidéo.
À noter qu’il n’est pas possible d’agir pour autrui, sauf cas particulier.
Une construction juridictionnelle
Le droit à l’image ne repose pas sur un ou des articles précis des codes civil, pénal, commercial ou autre. Il s’est construit essentiellement à partir de l’article 9 du Code Civil (« Tout individu a droit au respect de sa vie privée« ). Toute la théorie du droit à l’image repose dessus, avec le concours de 2 autres apports :
- La Convention Européenne des Droits de l’Homme ;
- Le Code Pénal pour les clichés pris dans le domaine privé.
Attention, comme c’est une construction jurisprudentielle, ce droit est mouvant. Il se construit, se renouvelle, change de direction à chaque décision de justice. La « vérité » du jour ne sera pas forcément celle de demain. Même s’il existe une certaine constante depuis l’arrêt « Banier ».
Quelle protection ?
Dans la pratique, ce droit à l’image protège la personne pour 2 aspects distincts :
- Tout d’abord un droit pour une personne qui se trouve sur une image fixe (photo) ou une vidéo de refuser la diffusion de son image dans certaines conditions. Ce qui veut dire que ce refus est encadré par des règles. Il n’est pas possible de dire uniquement « non, je ne veux pas ».
- Ensuite la protection des droits de la personne lors de la diffusion commerciale d’une photo ou d’une vidéo où il apparaît.

Droit à l’image et liberté de photographier
Maintenant que le droit à l’image a été défini, que cela recouvre-t-il ?
Le principe de la liberté d’expression
En France, on peut photographier des personnes librement dans la rue, dans tout lieu public. Même de parfaits inconnus. Et ceci sans leur consentement. C’est le principe de la liberté d’expression artistique qui découle de la liberté d’expression.
On part du principe que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.
Peut-on interdire de prendre des photos ?
Vous l’aurez compris, en France, on ne peut pas vous interdire de prendre des photos dans un lieu public. Seule la diffusion est soumise à une réglementation non codifiée.
Personne ne peut vous obliger à supprimer une image. Ceci vaut aussi pour la police et les forces de l’ordre, même en ces temps sensibles.
Vous avez la loi, la jurisprudence et les juges derrière vous, tant que vous respectez les règles édictées.
Notre conseil sera d’éviter de prendre une photo qui irait à l’encontre de la dignité humaine. En ces temps où tout finit malheureusement par paraître sur internet, vous n’êtes pas à l’abri d’un incident de diffusion.
Qu’est-ce qu’un lieu public ?
Pour ceux qui s’interrogent sur ce qu’est un lieu public, la réponse est simple. Au sens du droit à l’image, il s’agit d’un lieu où tout le monde peut entrer, même s’il faut payer. L’intérieur d’un bar, d’un café, une piscine, ce sont tous des lieux publics ! Par contre si ce lieu habituellement public est privatisé pour un événement, il devient privé au sens du droit à l’image.
Focus sur les enfants
Petit point de droit, en France la justice ne fait pas de distinguo entre bébé, enfant et adolescent. Ailleurs, ce n’est pas forcément pareil et il faut toujours faire attention à l’étranger.
Prendre des clichés d’enfants, c’est très souvent compliqué. Faites-le dans la rue ou dans un parc (ou ailleurs, peu importe) et vous aurez de grandes chances de vous faire interpeller. Au mieux pour vous demander de supprimer les clichés, avec parfois des menaces. Au pire en vous traitant de monstre pédophile. Pourtant, au nom du principe de la liberté artistique, vous avez parfaitement le droit de prendre des enfants et personne ne peut vous l’interdire. Même les parents. En fait, c’est nous les photographes qui nous restreignons dans la prise de vue et la diffusion, par peur ou pour d’autres raisons.

Les mêmes règles d’exploitation que pour les autres modèles vont s’appliquer. Les juges sont juste peut-être un peu plus attentifs sur les notions de dignité et de troubles. En cas d’action en justice, les parents agiront au nom de l’enfant qui est mineur (c’est l’exception cité plus haut).
L’exploitation des clichés
Il faut distinguer l’exploitation artistique de l’exploitation commerciale. Malheureusement, la frontière entre les 2 types d’exploitation est parfois compliquée à tracer.
En France, la jurisprudence distingue 3 types d’utilisation des images.
L’utilisation artistique
Il s’agit ici de photos qui vont être utilisées pour faire des expositions (physiques ou virtuelles), avec des ventes possibles de tirages, sous forme d’exemplaire unique ou de livre. Utiliser une ou des photos comportant des personnes dans une exposition / tirage / livres, entre dans le cadre de la liberté d’expression. Il n’est pas nécessaire de disposer d’une autorisation de ceux qui sont exposés.

Il n’est pas nécessaire d’avoir les autorisations pour une exploitation artistique. Par contre, en cas de pépins, cela peut s’avérer utile.
Un arrêt fondateur
Un arrêt de la Cour d’Appel de Paris de 2008 est la base de la jurisprudence actuelle en la matière. Il s’agissait d’une dame, photographiée à son insu par Jean-Marie Banier, qui a assigné en justice photographe et éditeur suite à la publication du cliché dans un livre. Dans son arrêt, la Cour d’Appel a rappelé le principe de la liberté d’expression sous toutes ses formes et ses deux limites :
- La photo ne doit pas porter atteinte à la dignité humaine. Cette notion reste à l’appréciation du juge qui s’appuiera sur la jurisprudence établie pour déterminer si l’auteur a franchi les limites ou pas. Sachant qu’au fil des décennies, cette jurisprudence évolue, en fonction de critères divers et variés.
- La diffusion de la photo ne doit pas avoir de conséquences d’une particulière gravité. C’est à la personne de démontrer ces conséquences, pas au juge. Ce dernier va simplement apprécier ces conséquences et les déclarer recevables, ou pas. Indiquer simplement que « l’on ne veut pas » ou « cela me cause un dommage » est insuffisant.
Exemption de responsabilité ?
Attention, cet arrêt ne dédouane absolument pas le photographe de toute responsabilité. Ce dernier doit faire preuve de bon sens.
Exemple, quand il photographie un couple qui s’embrasse, il entre dans leur intimité. Et potentiellement, il peut prendre le cliché d’un couple illégal. Prendre la décision de diffuser le cliché, c’est prendre un risque de révéler des aspects privés qui auraient dû rester cachés. Et potentiellement aboutir à un divorce… La conséquence est alors d’une extrême gravité !
Le droit à l’information
Quand une photo sert à illustrer une information. On peut faire paraître la photo sans autorisation à condition :
- Que le cliché soit en lien direct avec l’actualité,
- Qu’il serve à l’information,
- Que la personne soit concernée par l’actualité.
Attention, en la matière, les juges sont assez sourcilleux sur le premier point. Par question d’utiliser une photo d’archives pour illustrer une manifestation du jour. En cas de litige, la photo n’entrera pas dans ce cadre d’utilisation.
L’utilisation commerciale au sens large
L’autorisation est obligatoire pour tout autre usage que les cas précités. Et la jurisprudence est, semble-t-il, très large et stable depuis de nombreuses années. Ainsi, si un homme politique utilisait une photo prise dans un lieu public à des fins de propagande électorale, le cliché entrerait dans ce cadre d’utilisation commerciale.

En l’absence de tout contrat d’autorisation, le modèle pourra se retourner contre le photographe et/ou tous ceux qui utilisent commercialement son image. C’est compris dans le droit à l’image et nul ne peut en être exempté.
Quelques points de droit
- L’autorisation tacite n’a aucune valeur en France. À n’importe quel moment cette autorisation peut être retirée. En fait, c’est encore plus simple, une autorisation tacite n’existe pas, elle n’a aucune base légale. Ce qui veut dire que vous ne pourrez pas vous réfugier derrière elle en cas de recours devant un tribunal ;
- Une autorisation sans limite de durée est caduque de facto. Tout photographe qui propose un contrat, une autorisation d’utilisation sans limitation de durée pourra être attaqué en justice. De plus, à partir du moment où le modèle dit STOP, le contrat s’arrête.
- Concernant les clichés de biens ou d’animaux, le propriétaire ne peut s’opposer à une utilisation d’images, que si un trouble anormal est démontré (on parle ici de préjudice).
Aparté sur le droit d’auteur
Il n’existe pas de droit sur l’image. C’est une erreur d’évoquer cette notion. Par contre il y a un droit pour l’auteur de l’image, celui de diffuser cette image.
Ce droit d’auteur vient souvent en opposition avec le droit à l’image. D’un côté l’auteur qui veut diffuser et de l’autre le modèle qui pourrait ne pas vouloir. C’est dans cette zone floue que le juge va devoir intervenir pour arbitrer entre la liberté d’expression et le respect de la vie privée.
Définition
Le droit d’auteur découle du Code de la Propriété Intellectuelle. Il naît avec la création de l’œuvre et s’éteint 70 ans après la mort de l’auteur (le photographe en l’espèce) pour certains droits, mais dure « ad vitam aeternam » pour les droits moraux (mettre le nom de l’auteur sur l’œuvre, aucune dénaturation de l’œuvre).
Ce qu’il faut savoir et connaître, c’est que :
- Celui qui prend la photo bénéficie du droit d’auteur ;
- Celui qui est pris en photo bénéficie du droit à l’image.
Il ne s’agit pas des mêmes droits. Les délais pour agir ne sont pas les mêmes, ni les juridictions d’ailleurs !
Attention, le contrat qui va lier le modèle à l’auteur pour l’exploitation des droits d’image ou le contrat de cession des photos par l’auteur à un tiers sont des contrats fermés. Cela veut dire que tout ce qui n’est pas expressément et clairement autorisé dans le contrat est interdit.
Exemple : si on cède les droits pour utiliser la photo dans un livre, cela ne concernera que le livre indiqué et pas un calendrier.
Chevauchement
Il existe des cas où il y a chevauchement entre le modèle et l’auteur. Comme pour les autoportraits où celui qui est pris en photo est en même temps l’auteur de la prise de vue. Dans ce cas, si votre cliché est utilisé sans vos consentements à des fins publicitaires (par exemple), vous pourrez aller en justice d’abord en tant qu’auteur pour contrefaçon, mais aussi en tant que modèle pour utilisation de son image à des fins commerciales.
Ce n’est pas le seul cas d’interaction possible. Quand on photographie une œuvre d’art par exemple. Cette dernière est le modèle tout en bénéficiant également du droit d’auteur puisque c’est une œuvre faite par un artiste.
Dans la construction juridique du droit à l’image, ce qu’il faut retenir, c’est que si vous prenez une photo qui ne porte pas atteinte à la dignité humaine et dont la diffusion de la photo n’a pas de conséquences d’une particulière gravité, tant que vous ne faites pas d’usage commercial, vous n’avez pas besoin d’autorisation du modèle.

Attention, ce qui est possible en France ne l’est pas forcément ailleurs. Chaque pays a son propre droit qu’il convient de respecter quand on voyage. Néanmoins, le droit français se montrant plus sévère que bien d’autres droits en la matière, le photographe respectant ce dernier et faisant preuve de bon sens devrait être à l’abri.
Tout d’abord, lire/écouter/consulter le site de Joëlle Verbrugge, auteur-photographe et avocate. Une mine d’information juridique sur la photo en général et le métier de photographe en particulier. Accessoirement (ou principalement, c’est selon) acheter son livre. Il est très bien fait et apporte énormément de précisions. Plus en tout cas que ce qui a été dit ici.
Une réponse
Merci pour cet article on ne peut plus intéressant.