Je suis tombé dans la photographie
Avant d’en prendre conscience. Comme on tombe en marchant à un an et demi, naturellement. Et ça a donné une PhotoBiographie.
Début de PhotoBiographie : Mon grand père…
J’ai découvert chez mon grand-père maternel, quelques 30 ans après sa mort une mini chambre de voyage Ernemann, superbe appareil en bois exotique et laiton, à soufflet en cuir, en parfait état de marche un petit siècle après être sorti des ateliers berlinois. Ma mère, avant la guerre, photographiait mon frère ainé avec un Voïgtlander 6×9, un folding à rouleaux, dont les tirages courants étaient des contacts, de la même taille que le négatif donc. La qualité de ses tirages était impressionnante, forcément. Elle a continué après la guerre, avec moi cette fois, avec le même Voïgtlander increvable.
Du côté de mon père aussi, il y avait des photos, puisque j’ai vu les portraits en pied d’un berger, proche de «Papète» mon grand-père paternel. Un tirage sépia d’un grand bonhomme coiffé d’un chapeau à larges bords, appuyé sur un bâton plus grand que lui. Une vraie image d’Epinal au bord d’un champ brûlé par le soleil, près de ses moutons.

Plus tard, mon frère a eu un Focasport, cadeau de son grand-père, le plus ancien photographe identifié de la famille. Il a eu aussi un labo, où à huit ans, j’ai vu apparaître dans une cuve de révélateur la première image photographique de ma vie. Cet instant magique est resté en moi, définitivement.
Mais avant de vraiment «entrer en photographie», j’ai dessiné, au crayon, à l’encre de Chine, à la plume, au pinceau. Puis j’ai peint, à la gouache, et très vite au couteau, sur du papier, sur du bois.
J’étudiais le russe, mes parents étaient proches de l’URSS. Ils y étaient allés en 1935 et m’ont envoyé là-bas faire des stages de langue et connaître le pays. La première fois en 1962, j’avais 15 ans. Mes parents ont dû demander une dérogation car j’étais trop jeune, même avec un passeport. C’est à cette occasion que je suis entré en photographie.
Les premiers boîtiers
Je suis parti à Moscou avec une Retinette Kodak, un petit folding, moderne à l’époque, utilisant des pellicules de 35mm. Pour moi c’étaient des Kodachrome 25. J’avais aussi une cellule photo-électrique française Chambord avec un petit rideau ivoire qui coulissait pour dégager l’élément sensible au sélénium et le cadran avec son aiguille. On appuyait sur un bouton, l’aiguille venait doucement indiquer un chiffre. Ce chiffre donnait des couples vitesse/diaphragme corrects. On en choisissait un, puis on le reportait sur l’appareil.
Sur le boîtier on armait l’obturateur à la main, avant chaque photo. Après avoir déclenché, on faisait avancer la pellicule à l’aide d’une molette. Le compteur de vues indiquait que l’on avait suffisamment bobiné de pellicule en se bloquant. Les manipulations ne permettaient pas d’aller vite. On prenait son temps, la vie était moins trépidante que maintenant.
L’année suivante mes parents m’ont offert le Focaflex qu’ils ont «racheté» à mon frère.

J’étais fier de cet appareil. Il était très moderne. D’abord c’était un reflex, on voyait vraiment ce que l’on prenait en photo, l’avancement de la pellicule et l’armement se faisaient en même temps, au moyen d’un levier, d’un seul geste; c’est ce qui se faisait de mieux à l’époque. En plus le Focaflex était très beau, des lignes très pures, un vrai objet d’art, un cuir très doux, des surfaces métalliques satinées. Un objet somptueux. Et un bon appareil. Un rêve pour moi.
Suite de photobiographie : L’URSS, source d’approvisionnement en matériel
L’été suivant, à Moscou, dans les vitrines des magasins pour étrangers, en devises fortes, trônaient des appareils reflex à objectifs interchangeables, des batteries d’objectifs, petits et gros, en aluminium massif ou des énormes, noirs, laqués et brillants. A des prix astronomiquement bas. Le Focaflex avait un objectif fixe de 50mm. Foca a d’ailleurs sorti un Focaflex II à objectifs interchangeables. Très cher. Les prix soviétiques étaient tellement bas. Mes parents qui s’étaient décidés à retourner en URSS, ne furent pas difficiles à convaincre.
J’ai craqué pour un Start, le grand frère du Zenit 3, un reflex dont la finition n’était pas aussi soignée que celle du Focaflex, mais sur lequel pouvaient se monter 8 objectifs de 35 à 1000mm et surtout 2 viseurs, le prisme et un viseur de poitrine, type Rolleiflex. L’été suivant, mes parents me rapportent un Start avec son 55mm ouvrant à 2, un Mir 1, 35mm, en fait 37mm, ouvrant à 2,8 et un Taïr 11, 135mm ouvrant à 2,8. C’est à dire des objectifs lumineux. Pour un prix 3 fois inférieur à celui d’un équivalent allemand sans autre objectif.
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J’allais régulièrement en URSS et en rapportais des reportages diapos en Kodachrome 25, puis en Kodachrome II à 50ASA. J’avais une cellule Gossen Lunasix, ce qui se faisait de mieux à l’époque. Mes parents ne me donnaient pas d’argent de poche, mais ne lésinaient pas sur tout ce qui était culturel : livres, cinéma, théâtre, voyages et … matériel photo. Ils avaient fait de la photo, les enfants prenaient le relais, rien que de très normal donc. Mes liens avec l’URSS prolongeaient les leurs, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes familiaux possibles.
Je montrais mes diapositives dans des réunions de types variés : parents d’élèves, France-URSS, connaissance du monde… Ces présentations nécessitaient des photos d’une qualité au moins honorable, de type reportage. Cela a bien évidemment formé mon regard, m’a habitué à composer mes images, à surveiller ce qui se passait sur les bords de mon cadrage, pour minimiser le déchet…
Le film inversible était très exigeant. Il fallait une mesure de lumière très précise pour obtenir un cliché correct. L’inversible ne supportait pas plus de 3 diaphragmes de contraste, et encore. Si la lumière était mal mesurée, un rien décalée, soit les ombres étaient bouchées, soit les lumières hautes étaient trouées, comme on disait à l’époque, cramées comme on dit maintenant.
La mesure de la lumière à la cellule photoélectrique
La cellule Lunasix était très précise, la mesure était faite sur un angle de 7°, c’est à dire l’équivalent d’une centrale pondérée réduite, presque une mesure spot. On visait de manière instinctive. Il fallait être précis, bien sentir dans sa tête le point qu’on visait. Cela obligeait à bien visualiser les axes virtuels selon lesquels mesurer telle ou telle zone de ce qui allait devenir photo. Cela obligeait à «voir» la photo avant de la faire, à distinguer mesure incidente et mesure réfléchie. Celle des cinéastes et des photographes de studio d’une part, et celle des reporters et des amateurs d’autre part. Pour faire simple, la lumière qui arrive sur le sujet, qu’on mesure de près ou la lumière que réfléchit le sujet, qu’on mesure de loin. Cela m’a poussé à m’intéresser au «zone system» d’Ansel Adams, le pape du paysage en Noir et blanc. Même du seul point de vue de la prise de vue, sans s’occuper du labo, la profonde raison d’être du système d’Adams.
J’ai enchainé les voyages en URSS, Russie, Ukraine, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan. Les photos, les paysages urbains, l’architecture, les paysages purs, les photos d’intérieur, les gens dans la rue, les parcs, les magasins. En un mot la photo de reportage. Dans les années 60, j’ai rencontré, le plus souvent par hasard, des journalistes, des photographes.
L’URSS, vivier de photographes talentueux mais méconnus
A Moscou, Igor Bouteiev, photo-journaliste à «La femme soviétique», que j’ai revu régulièrement pendant une trentaine d’années. Par lui j’ai connu Léonid Freimanis, un letton vivant à Kiev, survivant de la déportation au travail obligatoire en Allemagne. Double survivant, car les nazis, derrière Freimanis n’ont pas vu Freimann. Rapatrié en 45 depuis le camp du Strutoff où les alliés avaient regroupé les lettons libérés de captivité, avant de leur proposer soit le départ aux USA, soit le retour en URSS. Leonid est passé au travers du filtrage soviétique au retour en URSS, échappant ainsi au Goulag, où se retrouvèrent la plupart des ses compatriotes. Il est devenu danseur, puis photographe.
Il m’a aidé à choisir un Saliout, copie de Hasselblad 6×6, et les objectifs allant avec. Sans oublier de me dire la piètre opinion qu’il avait des russes peu soigneux et de leur solide capacité à massacrer les mécaniques qu’ils manipulaient ! Plus tard je lui ai apporté un objectif de chambre Schneider qu’il projetait de monter sur un chambre photographique de sa fabrication. Il m’a envoyé les photos qu’il faisait avec.
Léonid était un grand échalas filiforme qui avait pour moi une sorte de rapport filial, plein de respect parce que, disait-il, j’écrivais le russe mieux que lui ! Quinze ans plus tard, sa femme, que je n’avais jamais vue, m’a appris par une longue lettre qu’il était mort d’un cancer après 6 mois de calvaire. Une lettre qu’elle écrivait à un ami de son Léonid… J’en ai pleuré, et j’en pleure encore aujourd’hui.
A Moscou toujours, je me retrouve placé par une serveuse à la même table qu’un monsieur d’une cinquantaine d’année. Lui avec une nièce qu’il venait de récupérer à l’aéroport, moi avec une amie de Léningrad, prof de français qui arrivait de Paris en train. A la fin du repas, il avait remarqué mon sac photo et le Start, assez rare, produit par Zenit. Nous engageons la conversation, il était ingénieur chez Zenit, avec de hautes responsabilités commerciales. Il me laissa sa carte en me disant: «Si vous avez besoin de quelque chose, appelez moi». Par la suite, il m’a procuré 2 objectifs grand-angulaire, un Orion de 28mm, puis un Roussar de 20mm, introuvables sur le marché, que j’ai payés le prix de vente officiel, en roubles, autant dire rien. J’ai toujours pensé qu’il n’avait même pas gardé ces roubles pour lui. Il s’appelait Boris Shablevitch.
L’amie prof que j’avais accueillie à son arrivée de Paris me présenta peu après à un de ses amis, Igor Tchourine, rédacteur à la Pravda de Léningrad.
Valentin, dit Valia
J’y ai fait la connaissance d’un extraordinaire photographe, Valentin Briazguine, métallo dans une des grosses usines de Pitter, membre du club photo de l’usine. Il était devenu photographe de l’usine et tireur de labo. Puis était entré à la Pravda de Léningrad comme photographe. Il avait la quarantaine, petit, mince, une petit moustache fine. Il était d’une culture photographique et littéraire fantastique, à tous les sens du terme. Il m’a montré ses photos, des séries qui auraient dû devenir des livres.
Une série d’illustrations du «Cavalier d’Airain» de Pouchkine; des tirages solarisés, faits au fond d’une cuve d’eau remuée pour obtenir des façades mouvantes, mais nettes! Hallucinant, je n’ai toujours pas compris comment il faisait. Je n’avais jamais vu ça. Et je ne l’ai plus jamais revu depuis, ni en argentique, ni sous Photoshop.
Une série qu’il avait appelée «Zone». Des photos de camp, de barbelés, de chemins de ronde, de miradors, de sentinelles, sous la neige. Des noir et blanc d’une pureté inouïe, pris en Carélie, au nord de Léningrad. Une sourde dénonciation esthétique du Goulag, coupante comme un rasoir. Plus tard j’ai pensé qu’en me montrant ces photos, il m’avait montré aussi une confiance extraordinaire; un mot de moi aurait suffit à le précipiter de l’autre côté des barbelés étincelants de ses photos.
Un album allemand avec des photos contemporaines de la RDA et des photos de l’Allemagne nazie. A gauche un orchestre de mineurs de la RDA, à droite un orchestre de la Wehrmarcht. Les deux tirages avec une même technique, le même grain, pour ne pas les différencier. Confondant. Album terminé par une photo aérienne d’un des grands immeubles de Berlin Est, en forme de croix gammée. Valentin m’avait demandé : «Tu crois que l’architecte a pu ne pas s’en apercevoir ?»
Valentin, que tout le monde appelait Valia, est le premier écolo que j’ai rencontré, avant d’avoir jamais entendu parler d’écologie. Il était aussi le premier dissident que j’ai cotoyé, alors qu’on ne parlait pas encore de dissidence. J’ai appris plus tard qu’il avait quitté son boulot, pour aller vivre dans sa Carélie, avec ses ruches et sa paix intérieure. J’ai lu sa nécrologie dans un numéro de «Sovietskoïé Foto», quelques années plus tard. Ses pairs s’inclinaient bas devant sa mémoire, mais à ma connaissance il n’y a jamais eu de publication de ses photos.
Sur les bords de la Baltique, dans un centre de vacances dont nous étions les premiers hôtes, j’ai fait la connaissance en 66 d’un opérateur cinéma, évidemment photographe, Valentin, encore un. Il avait un Exacta Varex IIb, dont la baïonnette comportait un filetage de 39mm, le pas Leica et celui de objectifs soviétiques. Il m’expliqua que c’était un Exacta «réparation de guerre», une série de boitiers spécialement dotés de ce filetage et livrés à l’URSS. Je tombai en arrêt devant cette merveille, le premier reflex commercialisé de l’histoire de la photo, en 1936. La préhistoire, peut-être, mais une conception tellement intelligente, pas encore vieillie à l’époque et surtout une mécanique digne d’un Leica avec les possibilités d’un reflex.
J’échangeai avec Valentin mon Taïr 11/2,8, lumineux, mais encombrant contre un Jupiter 11/4, moins lumineux, mais nettement plus petit, avec une lentille frontale plaquée or.
Et je me suis mis à la recherche d’un Exacta. Cela a duré 6 ans. J’ai fini par en trouver un, très beau, mint comme disent les anglo-saxons… à Casablanca. J’ai fait faire le filetage à Paris, chez Agopian Mécanoptique. Après qu’un autre atelier m’ait dit que c’était infaisable.

Et puis il y eut l’escapade KIEV 10, un superbe appareil automatique, le premier au monde, avec une cellule au sélénium à l’avant du prisme, on sélectionnait une vitesse à l’aide d’une molette qui tombait sous le pouce droit et l’appareil fermait le diaph à la bonne valeur. L’obturateur était à rideau métallique en éventail. Superbe et étonnamment discret. Mais la cellule, montée devant le prisme, à l’extérieur, était trompée par les gros télés qui pouvaient lui cacher la lumière en cadrage vertical. Rédhibitoire. Et Kiev ne sortit pas d’autres objectifs que le 50mm. Avec les autres objectifs, je me retrouvais avec un semi-automatique malcommode, aussi beau, bien fini et agréable soit-il ! La solution, la vraie, la fiable, la pratique allait venir du Japon.
Fin d’une époque, début d’une nouvelle
A partir de 1968 l’atmosphère en URSS était devenue de moins en moins respirable. En 1972, je décidai de ne plus y mettre les pieds, malgré les amis que j’avais là-bas. J’étais devenu prof, ma vie changeait. Mes destinations de voyage aussi. Le Maroc, l’Algérie, la Yougoslavie, la Grèce. Mon matériel photo, arrivé à maturité me donnait, ce que je lui demandais. Je n’avais que des focales fixes, de bons objectifs. C’était lourd. On ne travaillait pas dans l’instant, on anticipait. Cela évitait d’être pris au dépourvu, autant que possible.
Je faisais des mariages pour des copains, des connaissances. Mes photos étaient globalement bonnes, j’avais un déchet acceptable. Je préférais les photos naturelles, non posées, les portraits volés, les regards habités. J’avais une sorte de pudeur qui m’empêchait de saisir les gens dans les moments de «faiblesse». Une photo grotesque me mettait mal à l’aise. Je ne parviendrai jamais à me débarrasser de cette attitude qui me fera rater bien des clichés «à succès».
Les sensibilités commençaient à monter, le standard Ekta était devenu 100 ASA. On appelait Ekta toute diapo. On montait à 1000 ASA avec la T-Max N&B, sans grain. J’ai tâté de l’Anscochrome américaine, couleur à 500 ASA! Rouge!, de la Perutz allemande, délicatement froide, pour revenir à Kodak. Plus tard, comme beaucoup je passerai à Fuji avec la mythique Velvia…
Les Japonais commençaient à arriver sur le marché européen, de plus en plus fort. L’électronique entrait dans les boitiers. La cellule s’y cachait, devenant Throught The Lens. Parfaite, elle était alimentée par des piles minuscules, les appareils devenaient automatiques. Enfin, à réglage auto de la vitesse : on affichait le diaph sur l’objectif, l’appareil choisissait la bonne vitesse, on modifiait le diaph, la vitesse était aussitôt modifiée. Plus judicieux que ce que j’avais eu sur le KIEV 10. La mesure de lumière se perfectionnait, devenant de plus en plus fiable.
J’ai eu de plus en plus envie de photos prises sur le vif, de gens en train de discuter, de rire. Mon matériel commençait à me brider. Quand je prends la décision de passer à un appareil «automatique», je me trouve confronté à mes habitudes, depuis 20 ans j’ai photographié soit avec un prisme, soit avec un viseur de poitrine, selon les besoins. Mais les boitiers qui possèdent ces atouts sont de type professionnel, c’est à dire chers, très chers. Le Nikon F3 coûte 2800 francs et son niveau d’automatisme dépend du viseur, seul le Photonic permet l’automatisme, mais il est volumineux et son prix l’est aussi… Le Canon F1 nettement en retrait est à 2500 fr.
Mon salaire était de 4125 fr. Je venais de me séparer, mon budget à l’époque ne me permettait pas d’engager de telles sommes. J’orientai alors mes recherches sur des appareils entrant dans un budget de 1400 fr. J’arrêtai finalement mon choix sur un boitier bien conçu, le Chinon C4. … la mort dans l’âme.
Et puis Pentax…
Après plusieurs mois d’atermoiement et une semaine avant de passer à l’acte, dans un coin de vitrine de la Fnac Montparnasse, comme dissimulé, je découvre le Pentax LX. Si la Fnac n’avait pas voulu le vendre, elle n’aurait pas fait autrement. Ce fut un coup de foudre. Des dimensions et des proportions de Leica, 9 viseurs possibles, avec l’automatisme dans tous les cas, la cellule étant située dans le boitier, en bas de la boite du miroir. Automatisme débrayable en un seul geste de 2 doigts. Mais 2300 fr. Quand même !
Toutes mes belles résolutions raisonnables étaient en ruines. Ma décision était prise, il restait à trouver une solution à l’écueil du prix. C’était possible, en passant par New-York. Quelques mois plus tard, avec un savant montage assuré par des copains travaillant, qui à Air France, qui chez Carl Zeiss Jena France, je récupérais un LX avec prisme et viseur de poitrine et un 1,4 de 50mm. Par la suite s’y sont ajoutés un 2,8 de 28mm et un 4 de 200mm. le tout pour 2200 fr. Légalement. Des prix américains, presque soviétiques ! Belle ironie.
Le coup de foudre s’est transformé en histoire d’amour. J’ai découvert à l’usage ce qu’aucun catalogue ni aucun mode d’emploi ne peut dire, ce que l’on ne voit pas sans utiliser un appareil. La fiabilité de la cellule, sa capacité à travailler en basse lumière : 10 minutes annoncées en mode auto, dans les faits beaucoup plus. Une clarté de visée qui renvoyait l’Exacta à ses origines d’avant-guerre. Un compteur extrêmement précis permettant les surimpressions sans décalage et surtout le changement de pellicule en cours de route sans aucun chevauchement et même sans perte d’un seul cadre.
Un appareil de rêve qui me donnait la liberté de créer sans entrave tout ce dont je pouvais rêver.
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Par la suite j’ai trouvé d’occasion dans des foires le winder, puis le moteur, que j’ai utilisé pour les surimpressions plus que pour les rafales. Et qui m’a habitué à l’avancement automatique de la pellicule. Un autre viseur aussi qui permettait, à lui seul, de passer de la visée à hauteur d’œil à la visée à hauteur de poitrine (voir photo ci-dessus à droite).
Petit à petit, avec des tâtonnements, des achats, des reventes, j’ai reconstitué mon parc optique. Au début je me suis dit qu’avec la matériel japonais mon sac allait peser deux fois moins lourd qu’avec mon artillerie soviétique. Quelques années plus tard, mon sac pesait 7 kilos, comme avant. Raté! Au bout de 5 à 6 ans, mon parc optique commençait à s’approcher de la maturité.
A partir de 1982 j’avais recommencé à aller en URSS, pour tenir la parole donnée à des élèves. A Moscou j’étais entré en relation avec de nouveaux photographes. Comme Alexandre Slioussariev, un créateur fantastique capable de voir à chaque pas, ce que chacun côtoie quotidiennement sans le voir. Il avait appelé ça la photographie directe. Ce n’était évidemment pas du réalisme socialiste. Ce n’est que plus tard que j’ai fait le lien avec la Straight Photography américaine…
Alexandre Slioussariev
Alexandre était considéré par toute une série de ses collègues, souvent plus jeunes, comme une référence. Il était traducteur d’italien avant de devenir photographe, était d’une culture très large, bien qu’il ne l’affichât pas et avait un humour ravageur. Ses amis le considéraient comme un maître et l’appelait San Sanytch, ce qui était une forme avérée de respect.
Parmi eux j’ai été plus proche de Edygué Niazov du Kazakhstan, Andréis Grants de Lettonie, Sergueï Léontiev, Sergueï Borissov, Igor Moukhine, de Moscou, Georgui Poïlov de l’Oural. Les cinq premiers étaient principalement portraitistes, de célébrités du monde des arts, officiels ou underground, de passants abordés dans la rue, organisant des mises en scène ou visitant des maisons de redressement, faisant de la street avant la lettre. Le sixième montait des natures mortes symbolistes. Tous travaillaient en noir et blanc. Tous avaient un regard au moins critique, souvent sarcastique sur leur pays.
Tous considéraient que San Sanytch avait un immense talent et que sa non-reconnaissance dans son pays était une injustice également immense. C’était un fait acquis, une réalité incontournable. C’était valable également pour eux tous…
A Paris, j’avais fait la connaissance de Jean-Loup Princelle, photographe de studio qui écrivait des livres sur l’histoire des appareils photo. Par une annonce passée pour vendre mon 6×6 russe. Il m’avait appelé, mon Saliout l’intéressait. L’appareil était en état de marche, il cherchait un boitier, même épave, pour le photographier, pour une publication. Nous n’avons pas fait affaire, mais il a photographié le Saliout et nous sommes devenus copains.
Il préparait un livre sur les copies de Leica dans le monde. Je lui ai proposé d’aller à Moscou pour puiser à la source. Slioussariev connaissait du monde chez Zenit. Nous sommes allés avec lui à Krasnogorsk, au musée de l’usine, nous y avons photographié des appareils uniques, les premiers prototypes de boitiers mythiques, découvert des boitiers inconnus. Une réussite dépassant toutes les espérances.
Pendant la visite, notre hôte, directeur du musée, photographe et collectionneur de photographies anciennes Mikhaïl Golossovski, nous demande si nous ne connaitrions pas en France quelqu’un intéressé par l’importation d’un nouvel appareil panoramique en cours de finalisation, l’Horizon. Jean-Loup connaissait. Un ami proche, le directeur de la filiale française de Manfrotto, le plus gros fabricant de pieds photo du monde occidental. Deux mois plus tard commençait l’aventure de l’Horizon.
L’URSS et le K…
La baïonnette K de Pentax, la baïonnette initiale, était dans le domaine public depuis peu. Les soviétiques n’attendaient que ça pour produire des objectifs K, bien sûr compatibles avec mon LX, et j’ai renoué avec mes vieilles habitudes, avec un 2,8 de 16mm fish-eye, un 2,8 zoom de 25-45mm, un 300mm APO jamais produit en série. Les mêmes prix ridicules que 20 ans auparavant.
L’aventure Horizon a été tissée de voyages à Moscou chez Zenit, à Venise chez Manfrotto, de discussions techniques, commerciales, de négociations où j’étais traducteur, conseiller. On dirait maintenant consultant. Cela a abouti au premier accord exclusif d’exportation avec une entreprise occidentale qu’une entreprise soviétique ait jamais signé.
A l’occasion de la signature les soviétiques invitèrent un délégation de 10 personnes parmi lesquelles les directeurs de Chasseur d’Images, du Photographe, Jean-Loup… et moi. Chaque membre de la délégation eut droit à un Horizon Titane gravé à son nom. Certains d’entre nous l’ont gardé, voir utilisé, certains ont revendu le leur. Le lendemain de la signature il y eut une conférence avec tous les ingénieurs de conception et de production de l’usine, sur les perspectives d’exportation sur le marché mondial, parallèlement à l’horizon.
Mais la direction de Zenit n’a jamais compris que le plus clair des acheteurs de l’Horizon seraient des professionnels, ni ce qui avait été dit à cette conférence : produire un boitier de la classe du LX, et reprendre des objectifs existants avec une finition de niveau occidental. Ils auraient pu en être capables. Ils n’ont pas su ou pas voulu. Seuls leurs anciens objectifs parlent désormais de leur passé aux photographes.
Mon parc optique était arrivé à maturité. Au même moment que l’autofocus … Raté, encore une fois.
La mise au point rapide commençait à me poser des problèmes. En condition de prise rapprochée rapide, je faisais pas mal de déchets. Je me suis décidé à acheter un Z-1, directement chez Pentax France, au prix collaborateur. Avec l’autofocus, c’en était fini des viseurs interchangeables. Au dessus du prisme il y avait un flash incorporé, escamotable.
Au moins, avec un Z-1, je gardais la baïonnette K et mes objectifs étaient tous compatibles. Les canonistes n’ont pas eu cette chance.
Un de mes amis, qui venait de s’offrir un T90, se retrouva fort marri quand, quelques mois plus tard, sortit le premier EOS !
Objectifs « anciens »
Mes anciens objectifs n’étaient évidemment pas autofocus, mais j’avais l’assistance de l’AF du boitier. Pentax avait sorti un convertisseur qui, intercalé entre le boitier et l’objectif, rendait celui-ci autofocus en multipliant sa focale par 1,7 et en faisant perdre un diaph, comme un multiplicateur de focale, mais AF. C’était très intéressant pour les télés. Pour les objectifs grand-angle, c’était plutôt catastrophique: un 18mm de 3,5 devenait un 35mm de 4,5 digne des années 50. Il valait mieux l’utiliser comme presse-papier.
Certains disaient qu’avec les grand-angle la mise au point avait moins besoin de précision. Jean-Loup Princelle disait le contraire et j’avais tendance à le croire. En attendant je jouais avec l’hyperfocale, les gravures sur le fut fixe des objectifs de cette époque le permettaient sans problème. Mais cette façon de faire, commode, signifiait rester sur le quai, ne pas marcher avec le progrès. Je n’avais pas vraiment les moyens de marcher avec le progrès. J’avais un beau parc d’objectifs et de beaux objectifs, achetés d’occasion.
Un 2,8/16mm Zenit, très bon. Un 3,5/18mm Pentax excellent. Un 1,4/50mm Pentax très lumineux et très bon. Un 1,8/85mm Pentax, trouvé à New-York, très lumineux et très bon. Un 2,8/90mm Macro-la référence en macro. Un 2,5/200mm Pentax, très lumineux et très bon. Un 4,5/300mm Zenit Apo, excellent.
Remplacer tout cela signifiait dépenser un fortune que je n’avais pas.
Le Z-1 était un excellent boitier, très fiable, mécaniquement au niveau des meilleurs boitiers pro, avec des trouvailles uniques comme l’hyper programme et l’hyper manuel, rendus possibles grâce aux deux molettes sous le pouce et l’index de la main droite. Un brevet Pentax dont l’esprit a ensuite été repris par toutes les marques. Mais l’HyperP est resté Pentax, brevet oblige: une molette modifie le diaph (on bascule en Av) l’autre molette modifie la vitesse (on bascule en Tv). On a toujours la complète maîtrise de ses paramètres. Si besoin une pression sur le bouton vert ramène aux paramètres d’origine.
J’ai basculé dans l’air du temps, celui des zooms, arrivés à une maturité évidente. Un FA 20-35 Pentax, un 70-200 Sigma, achetés en VPC, donc au prix le plus bas du marché. A l’époque une pratique peu courante pour la photo. Un FA*28-70m objectif de démo acheté à Pentax-France.
Objectifs modernes
Petit à petit, sur plusieurs années, objectif par objectif, j’ai reconstitué un parc autofocus, plus restreint, mais avec autant de couvertures. J’avais gardé certains objectifs manuels que je jugeais exceptionnels par leurs qualité ou leur histoire, et dont je n’aurais pas tiré grand chose en les vendant.
Les appareils compacts envahissaient le marché, les reflex reculaient. Les pellicules augmentaient, à cause du cours de l’argent, disait-on. Kodak, suivi par Fuji, Minolta, Canon et Nikon ont alors lancé le format APN, moitié moins grand que le 24×36, assorti de la promesse de données sur chaque prise de vue enregistrées sur une bande magnétique. Qui permettrait d’améliorer la qualité des tirages papier en labo. Rêve technologique qui ne fut jamais réalisé. C’était surtout un rêve commercial assez peu réaliste. Mais l’APN a achevé l’argentique mourant. Avant que le numérique n’arrive, en conservant le format…
Pentax qui n’avait pas fait partie de la «bande des quatre», comme avaient méchamment été appelés les promoteurs du format APS, est entré dans le numérique en trainant les pieds. La marque avait prévu de sortir un boitier argentique et son jumeau numérique en parallèle, et donc en 24×36. Cela n’aboutit jamais, faute du capteur 24×36 Philips prévu.
Et le numérique …
Le premier Pentax D était séduisant, mais trop cher pour moi. Je trainais les pieds. Finalement en 2005, avec l’impression d’être un dinosaure, j’ai sauté le pas et acheté un *ist Ds. Le nom Star(*) ist était celui des derniers argentiques, nostalgie, nostalgie.
Le *ist Ds était un petit boitier très compact, efficace, mais en retrait par rapport au Z-1. Je l’ai acheté boitier nu, tous mes objectifs étant compatibles. Les focales étaient simplement multipliées par 1,5, à cause de la petite taille du capteur. Je me retrouvais avec un peu la même problématique qu’avec le convertisseur x1,7 au début du Z-1. Plus tard j’ai acheté le DA 12-24 Pentax, excellent zoom équivalent à un 18-36mm. Le seul objectif dédié au format APS-C de mon parc. Pour les autres je me retrouvais avec des objectifs lumineux et des focales augmentées pour le même poids. J’ai toujours les mêmes objectifs dix ans après. Choisis pour leur qualité ils ont tenu et tiennent encore la montée en qualité des capteurs. C’était la troisième mutation que je traversais, mais cette fois sans avoir besoin de muer.
Pour moi les boitiers se sont succédé au gré des améliorations technologiques: retour aux deux molettes avec le K-10. Puis K-m pour remplacer le Ds endommagé, puis K-x venant remplacer le K-m, revendu pour permettre le remplacement. Puis K-7 à l’ergonomie pour moi sans défaut, mais au capteur discutable, aventure d’un temps de Pentax avec Samsung, et puis avec le K-5 l’impression de retrouver les sensations du LX ou du Z-1. Les capacités technologiques en plus: changer de sensibilité en déplaçant son index, passer de la lumière du jour à la lumière artificielle de deux gestes d’un doigt, avoir dans son boitier presque l’équivalent d’un thermocolorimètre…
Du boitier à objectifs interchangeables aux objectifs à boitiers interchangeables
On est passé des appareils à objectifs interchangeables aux objectifs à boitiers interchangeables… L’époque où l’on savait ce que coûtait chaque photo était révolue. On était dans celle où «une photo ne coûte rien». Enfin une photo-fichier sur l’écran de son appareil ou de son ordinateur. Pour un tirage papier, rien n’avait changé, hormis le nombre de boutiques de photo. Les photographes disparus ont été remplacés par des PHOTO SERVICE qui sont devenus ensuite des vendeurs de téléphones portables, puis de smartphones.
Ceux qui arrivent maintenant à la photo n’ont plus personne pour leur donner des conseils. Certains vont sur Internet, sur des forums où ils peuvent demander des conseils, s’ils l’osent. Même sur Internet, protégés par le masque d’un pseudo, en posant des questions sur ce qu’ils font, ils s’exposent au jugement public. Aussi la plupart des questions sont elles techniques. Celles là exposent moins, et puis elles permettent de sortir de situations non résolues dans le manuel de son appareil. Le non-savoir faire ne crée pas de situations dont il faudrait sortir. Il crée seulement des photos de non-savoir faire, correctement exposées parce que l’appareil expose correctement dans la plupart des cas. Mais il ne fait pas plus.
Il y a bien sûr des sites avec des pages d’apprentissage, mais quelle est la proportion de ceux qui les utilisent par rapport aux propriétaires d’appareils ? Je ne suis pas sûr qu’elle soit supérieure à celle des membres de clubs photos par rapport aux photographes, il y a 40 ans. Les clubs photo existent encore, ils fonctionnent et plutôt bien, mais ils ne drainent pas plus d’amateurs qu’autrefois et le nombre de gens munis d’un appareil photo a au moins décuplé, sans compter les portables. Les clubs représentent donc une minorité encore plus marginale qu’il y a vingt ou trente ans…
Les images sont partout, elles ont envahi pratiquement tous les espaces publics, réels ou virtuels, à la suite des rivières télévisuelles, irriguant chaque foyer. Mais ces flots télévisuels charrient indistinctement des images de qualité médiocre et de très bonne qualité, les dernières le plus souvent à des heures de faible audience.
Sur le net, la mécanique est plus spontanée, mais elle produit à peu près la même chose.
Au fond la situation n’a pas changé, le même élitisme règne, dilué dans les cohortes de possesseurs d’appareils à faire des images. Pratiquement tout le monde à un appareil, portables compris. L’industrie marche, et les photographes doivent courir.
Entre le K-10 en 2007 et le K-5 en 2011, j’aurai eu 3 boitiers ! Entre le LX et le Z-1 il s’est passé 11 ans … Et il sont toujours en état de marche. Moi aussi pour le moment…
Regarder vers l’avenir
Depuis la rédaction de cet article, l’arrivée du 24×36 Pentax va bousculer la donne. Visiblement ce sera un boitier haut de gamme, avec des objectifs haut de gamme. Il va peut-être falloir que je renouvelle mon parc.
Je n’aurai gardé que la Baïonnette K, cette merveille, créée par Telemaco Corsi il y a quelques 60 ans, qui depuis vogue, vent debout.
2 réponses
Tout lu Valia! Très belle histoire et belle fidélité à Pentax! Sans parler de ton aventure soviétiquo/Russe incroyable.
Merci pour ce partage.
Amitiés.
Merci pour ce commentaire.
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