On écrit, on peint avec la lumière, on photo-graphie. C’est un fait établi, au moins dans l’article précédent «Mesurer la lumière ». Mais on peut également photographier la lumière elle-même. Prendre la lumière pour sujet.
C’est un sujet très sérieux, mais également délicat, difficile éventuellement. En effet, photographier la lumière, les sources de lumière signifie forcément traiter un contraste fort, voire violent. Cela implique des conditions photographiques qui vont du cas délicat à la gageure impossible. Dans toutes ces situations, il sera nécessaire de faire un choix : celui de l’équilibre entre les hautes et les basses lumières. Vous pouvez trouver quelque lumière sur ce sujet en consultant l’article déjà paru sur le contraste. Ce choix est au centre de toute la photographie.
L’équilibre parfait.
Cet équilibre peut se résumer de la façon suivante :
sous-exposition exposition correcte sur-exposition
L’exposition correcte, certains disent parfaite, est celle où le gris «moyen» est rendu fidèlement. Ce gris moyen est celui d’une charte à 18%, c’est-à-dire la teinte de gris qui reflète 18% de la lumière, valeur moyenne de la réflexion dans un paysage lambda. C’est la valeur qui correspond à 5 dans le Zone System d’Ansel Adams.
Nous n’allons pas ici traiter le zone system. Vous pouvez vous reporter à l’article qui lui est consacré. Nous nous contenterons de rappeler quelques points de repère.
Adams travaillait en N & B, ces indications concernent donc le noir et blanc. Mais je souligne que nous parlons de lumière et pas de couleurs. Ansel Adams, constatant que seules les zones 3-7 contiennent des détails «tirables», construit une échelle de 10 valeurs de gris qui correspondent à un diaphragme.
[noir 0 1 2 ] 3 4 5 6 7 [ 8 9 blanc]
Cette indication reste valide en numérique.
En numérique
On peut dire qu’un fichier pour être récupérable en PT ne devra pas dépasser deux niveaux/diaphragme de sous-exposition ou de sur-exposition.
Si vous exposez pour une lumière moyenne (*1), correspondant au gris moyen 5, vous aurez dans votre photo dû 3-4-5-6-7. C’est-à-dire que vous n’aurez pas de noirs profonds, ni de blancs violents, ponctuellement cramés. (*2)
(*1) exposer pour une lumière signifie choisir les paramètres d’exposition pour que cette lumière sorte bien.
(*2) terme traditionnel pour dire fortement sur-exposé, c’est-à-dire où il ne reste plus aucun détail. On dit aussi percé ou troué. Ces termes datent de l’époque argentique où une pellicule trop exposée à une lumière concentrée pouvait fondre, voire même prendre feu.
L’équilibre sur mesure
qui va nous intéresser dans cet article est celui qui dérive à droite, vers les hautes lumières ou à gauche vers les basses lumières. Vous remarquerez que le sens de ces glissades correspond à l’histogramme de nos numériques.
Plusieurs méthodes sont possibles pour parvenir à cet équilibre sur mesure. Nous partons du principe que pour ce genre de photos vous allez travailler en RAW. Ne serait-ce que parce qu’il vous donne une plus large – et plus profonde – palette de couleurs. (*3)
- Mesure multizone simple (sans autre réglage de la mesure AE). Vous pouvez après essai(s) intervenir sur l’AE par le bouton +/- et la molette arrière pour obtenir le rendu satisfaisant de la partie cruciale de la photo.
- Bracketing AE. Vous donnera des photos plus ou moins exposées, parmi lesquelles vous choisirez la bonne.
- Mesure multizone avec AE et AL liés (voir article «Avoir du contraste ou pas»). Remplace avantageusement la mesure Spot, car limite les risques. Ce mode de mesure est dérivé du zone system appliqué à la photo numérique. Concrètement ici :
- si vous mesurez l’AE dans les hautes lumières, vous exposez pour les hautes lumières, vous aurez une photo sombre où les hautes lumières seront détaillées.
- si vous mesurez l’AE dans les basses lumières, vous exposez pour les basses lumières, vous aurez une photo claire, où les hautes lumières iront du surex au cramé / crevé / percé (voir note de l’auteur * 2)
De manière générale, ces différentes solutions visent le même but : obtenir un bon rendu général avec une zone privilégiée. Dans une photo où le contraste joue un rôle important, celui-ci doit être plus ou moins marqué, d’où le mot de «sur mesure».
C’est ce que nous allons voir maintenant plus dans les détails.
La lumière du soleil direct
Tout photographe sait qu’il faut éviter de fixer le soleil, à plus forte raison de le viser avec son appareil. Pour la santé de ses yeux et accessoirement de son appareil photo. J’ai souvenir d’un reflex 6×6 posé un soir sur une table de café sans bouchon d’objectif, et malencontreusement tourné vers l’ouest. Quand j’ai développé la pellicule, les photos postérieures à cet agréable moment passé à la terrasse de ce sympathique café avaient toutes un voile orangé qui diffusait dans le coin supérieur droit autour d’un petit rond orange plus clair. Le rideau avait un joli petit trou bien rond de 2 mm de diamètre dans le coin inférieur gauche. Perforé par le soleil, concentré par la superbe loupe que formait le 80mm de l’appareil. Heureusement que les pellicules de l’époque n’étaient plus inflammables comme leurs aînées. Je ne suis pas le seul à qui cette aventure est arrivée. J’ai toujours le 6×6 avec sa pièce sur le rideau, posée par un ami photographe et magicien d’atelier.
Donc, photographier le soleil en plein jour est difficile. La seule solution vraiment fiable est la sous-exposition qui peut donner de très beaux résultats, avec de très bons objectifs, de préférence récents. Par contre on peut beaucoup plus facilement photographier le soleil à l’aube ou au crépuscule. Plutôt au crépuscule pour les couleurs. Les photographes, dans leur grande majorité, se couchent plus tard qu’ils ne se lèvent tôt. Les photographes sont des femmes, des hommes comme les autres.
L’équilibre à obtenir pour que le disque solaire ne perce pas la photo n’est vraiment possible que si celui-ci est déjà orangé. Dans ces conditions, le disque ne bavera pas, ou à peine sur le bord. Mais cet exercice présente une difficulté inattendue : le soleil se couche beaucoup plus vite qu’on ne l‘imagine (*4). Dans ce cas le bracketing peut être intéressant. Mesure de l’AE de préférence sur le soleil lui-même. Essais préalables conseillés.
(*4) Et il se lève encore plus vite. C’est une des raisons pour lesquelles on photographie plus le coucher de soleil. En été on pourrait d’ailleurs faire les deux d’un coup, coucher de soleil d’abord, relativement tard, et lever de soleil ensuite, pas longtemps après, c’est-à-dire très tôt.


La lumière des rayons du soleil – soleil caché
- En plein ciel. Quand des nuages, généralement beaux, cachent notre astre du jour, mais laissent échapper ses rayons. Ceux-ci créent des bandes de lumière qui se détachent sur fond de ciel bleu. Mesure multizone simple ou avec AE lié à l’AF et décentrement. Dans ce dernier cas, il faut mesurer l’AE sur les bandes de lumière.
- Les rais de lumière dans les espaces urbains ou les appartements. C’est un peu le même type de lumière, mais à échelle réduite et sur un fond généralement plus sombre. La prise de vue est assez proche du cas précédent avec un contraste souvent plus marqué. En mesure centrale pondérée ou multizone simple (avec une légère correction +/- ~1 IL) ou bien en multizones avec AE et AF liés en mesurant l’AE sur la lumière.


La lumière et les nuages
Les très beaux cumulo-nimbus, bien pommelés, gorgés de soleil… sur fond de ciel bleu. Un spectacle auquel il est difficile de résister. Si en plus ils sont accompagnés d’autres nuages, gris plombé, gorgés de pluie latente, mais d’un gris néanmoins attrayant, il devient impossible de ne pas déclencher. Shooter ces nuages donne des résultats plus directement satisfaisants avec des focales de 200 à 300mm. En mesure centrale pondérée ou multizone simple ou multizone avec AE et AF liés. Dans le dernier cas, on retrouve la règle citée dans le point 3 de la partie Équilibre sur mesure : résultat plus sombre si vous faites l’AE sur une zone claire et inversement. Le traitement en PT passera par les curseurs contraste – clarté – ombres à manipuler avec délicatesse. Évitez de trop titiller le curseur hautes lumières.


Sans les nuages du premier plan cette photo eut été d’un intérêt nettement moindre.
Les lumières de la ville
Il s’agit ici principalement des éclairages publics, dont vous pouvez faire le sujet de vos photos. Comme pour le soleil direct, le type de photo dépend directement de l’heure de la prise de vue. La meilleure heure est celle appelée «nuit américaine», lorsque les éclairages urbains sont déjà allumés, alors que le ciel, encore diurne, est d’un bleu plus sombre, plus dense. Le contraste entre les deux est déjà suffisant pour être saisi. On se retrouve dans le cas du soleil direct de crépuscule. La similitude est renforcée par la brièveté du moment. Je vous conseille de travailler en multi-zones simple. Si vous ratez votre coup, il vous faudra attendre 24 heures pour recommencer.


La lumière des lampes à incandescence
La pratique est assez similaire, à ceci près qu’elle dépend beaucoup plus de la focale utilisée. Plus la focale est longue, plus le champ est étroit, plus la mesure de l’AE aura intérêt à être faite sur la partie lumineuse, afin d’éviter qu’elle ne soit trouée.
La lumières dans les concerts
Dans le cas des concerts, c’est l’inverse absolu : on ne va pas au concert pour photographier la lumière, mais ce qu’elle montre et/ou met en valeur. Il faut éviter de faire entrer les spots tournés vers le public dans la mesure de lumière, sinon votre AE va assombrir tout le reste. Il vaudra mieux traiter la haute lumière des spots en PT, en retouche locale, quelle que soit la méthode, au pire en les laissant visibles dans le cadre, s’ils n’en défigurent pas l’équilibre, ne créent pas de flare. Le plus souvent vous aurez un gros contraste à gérer. Comme c’est la norme de la plupart des concerts, les problèmes résiduels sont plus « facilement » admis.

La lumière du feu
Il peut prendre des formes diverses comme :
- Les flammes vives. Dans ce cas, outre la mesure de l’AE qui doit être faite sur la partie de la flamme que vous voulez privilégier – zone rouge ou orange – il faut choisir une vitesse suffisante pour figer la flamme toujours assez mouvante. Vous avez intérêt à travailler en mode M et à laisser l’appareil jouer avec les Isos (dans une fourchette que vous pouvez fixer). Affichez d’abord la vitesse voulue, votre boîtier vous indiquera sa mesure de lumière et vous permettra d’afficher le diaph. Vous pourrez dans le même temps choisir ce que vous désirez : une flamme plus ou moins dense (autre appellation de « un brin sous-ex »). Ces possibilités sont l’essence même du mode manuel.
- Les braises. Même processus, mais plus facile. Mêmes réglages, la vitesse étant nettement moins importante. Le risque de crevé est moindre, et le «contexte» – fond et environnement – supporte souvent mieux une pénombre «poétique» associée au feu calmé ou qui se meurt. Ce jugement peut être considéré comme culturel et donc contestable.
- Les feux d’artifice. L’approche est ici inverse La vitesse doit être «lente» pour que les fusées aient le temps de faire leur travail (lumineux) et le capteur le sien. Vous allez donc fixer la vitesse. le plus souvent autour de 1/ 4sec, 1/2 sec voir plus. Le diaphragme n’est pas très important si vous êtes loin du départ des fusées. C’est plutôt la focale qu’il conviendra de choisir. Du diaphragme dépendront les Isos et la définition. Un diaphragme aux environs de f:4 – f:5,6 devrait convenir, d’autant plus que vous pouvez légèrement sous-exposer (1 IL, c’est-à-dire un cran d’Isos) pour éviter un ciel brunâtre.


La lumière du light painting
Cette pratique consiste, dans l’obscurité la plus totale possible, à photographier les motifs qu’un assistant (ou un complice ou même le photographe) trace à l’aide d’une source lumineuse ponctuelle devant l’appareil réglé en pose longue. Ce procédé reproduit celui qui consiste à saisir les trajectoires des voitures grâce à leurs phares et leurs feux arrières (voir photos de nuit). La similitude va jusqu’à l’invisibilité quasi totale du porteur de lumière, puisque lui n’émet pas de lumière. Le light painting a eu son heure de gloire dans les années 80, à l’époque argentique.
Et puis l’engouement est passé, comme pour toutes les photographies issues d’un procédé et de ce seul procédé. On peut comprendre. Avec le numérique et les réseaux sociaux, et l’apparition d’outils d’éclairage à diodes, la mode revient pratiquée par des « djeuns » plus narcissiques que photographes… Mais c’est toujours du light painting.
Le procédé mis en œuvre est également le même que celui qui permet de photographier les cracheurs de feu. Comme il se combine avec le côté festif de rassemblements nocturnes il ne subira peut-être pas le sort du light painting.


Ces diverses situations recoupent partiellement d’autres aspects photographiques de la prise de vues que vous pouvez trouver, traités dans d’autres articles, mais non explicitement cités ici.
Crédit photographique Valia© sauf les 4 dernières